Poupées pornographiques : une zone grise du droit pénal français

Publié : 9h08 par Alicia Méchin

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Ces dernières semaines, une vingtaine de personnes ont été interpellées en France, dans le cadre d’enquêtes sur la vente de poupées pédopornographiques par des plateformes de vente en ligne dont Shein et AliExpress.

Ces dernières semaines, une vingtaine de personnes ont été interpellées dans le cadre d’enquêtes portant sur l’achat de poupées à caractère pédopornographique via des plateformes de vente en ligne bien connues, telles que Shein ou AliExpress. Les suspects sont soupçonnés d’avoir acquis ces objets, dont l’existence même interroge et choque une large partie de l’opinion publique.

Mais donc, c’est puni par la loi de détenir ces poupées ?

Intuitivement, beaucoup s’attendent à une réponse affirmative. Pourtant, la réalité juridique est bien plus complexe et met en lumière une faille préoccupante du droit pénal.

Un objet inquiétant, mais pas nécessairement illégal. En droit français, le principe est clair : ce ne sont pas les objets qui sont interdits, mais les actes. À quelques exceptions près — comme les stupéfiants ou certaines armes — la loi ne sanctionne pas la simple possession d’un objet, aussi choquant ou dérangeant soit-il. Ce qui est pénalement répréhensible, c’est l’usage qui en est fait.

Ainsi, tant qu’une poupée de ce type n’a pas servi à produire un contenu pédopornographique, à mettre en scène une représentation interdite ou, bien évidemment, à agresser un enfant, elle ne tombe pas automatiquement sous le coup de la loi pénale. Autrement dit, l’achat ou la détention de l’objet, pris isolément, ne constitue pas toujours une infraction clairement définie.

Ce que la justice peut réellement poursuivre

Dans les enquêtes en cours, ce ne sont donc pas nécessairement les poupées elles-mêmes qui fondent les poursuites. Les investigations cherchent plutôt à établir l’existence d’éléments connexes : détention d’images ou de représentations pédopornographiques, échanges numériques illégaux, ou comportements laissant présumer la préparation ou la commission d’infractions graves.

La détention, la consultation ou la diffusion de contenus pédopornographiques, elles, sont des infractions parfaitement définies par le Code pénal et sévèrement punies. C’est souvent sur ce terrain que les enquêteurs et magistrats peuvent intervenir de manière effective.

Cette situation révèle une zone grise du droit pénal français. La loi actuelle peine à appréhender certains objets dont la finalité supposée est profondément inquiétante, mais qui échappent à toute qualification pénale tant qu’aucun acte répréhensible n’est démontré. Cela pose une question de fond : faut-il adapter le droit pour anticiper les risques, ou maintenir strictement le principe selon lequel seule l’action doit être sanctionnée ?

En l’état actuel du droit, la poupée n’est qu’un révélateur. Tant que son achat ou sa détention n’est pas explicitement incriminé par la loi, les poursuites judiciaires ne peuvent s’appuyer que sur les infractions qui l’entourent et les comportements qui l’accompagnent. Ce débat, à la croisée du droit, de l’éthique et de la protection de l’enfance, pourrait bien conduire à de futures évolutions législatives.

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