Un documentaire pour casser les clichés sur les Kevin

Publié : 10 mai 2024 à 7h00 par Guillaume Pivert

Kevin Costner
Kevin Costner
Crédit : Commons

Kevin Fafournoux a réalisé « Sauvons les Kevin ». Ce graphiste trentenaire alterne humour et sérieux pour évoquer un prénom mal-aimé, parfois dur à porter.

Celles et ceux qui sont nés dans les 80 et 90 en avaient toujours au moins un dans leur classe. Entre 1994, plus de 14000 nouveau-nés se sont vus attribuer ce prénom. Un boom lié notamment aux séries et aux films montrant des Kevin Costner (Danse avec les loups) ou Kevin MC Callister (Maman, j’ai raté l’avion). Pourtant, dès la fin de la décennie, la mode des Kevin retombera. Les clichés et les moqueries, eux, seront parfois difficiles à supporter pour les Kevin.

 

Vibration : vous avez eu du mal à accepter et à revendiquer votre prénom ?

 

Kevin Fafournoux :  Je me suis aperçu que j'avais toujours un peu de mal à donner mon prénom dans des lieux où les gens ne me connaissent pas, car je sais personnellement qu'on va me coller une étiquette et c'est ce qui m'embête. Je sais tellement que ce prénom est connoté que ça m'embête de le donner. Autrement, je n'ai pas tellement eu de problèmes dans la vie de tous les jours avec ce prénom mais j'ai toujours un peu embêté. Je me suis dit que ce n'était pas normal. J'ai commencé à faire des recherches, avant de me dire qu’il fallait en faire un film.

 

L’idée avec ce documentaire c’est de déconstruire les stéréotypes, de casser ce qu'on peut raconter sur ce prénom. J’ai récolté près de 500 témoignages de différents Kévin qui évoquent à la fois des choses drôles et d’autres beaucoup plus problématiques, comme de la discrimination, généralement, soit à l'emploi, soit avec les filles. Et là on rentre dans quelque chose de vachement plus dur. Il y a carrément des Kevin qui changent de prénom et tout, et c'est beaucoup plus compliqué pour le coup.

 

Vibration : qu'est-ce qui explique ce décalage entre la popularité du prénom et les clichés qu'on y accolent ?

 

KF : En réalité il y a deux choses. D’abord, c'est un prénom qui a eu un phénomène de mode qui n'a jamais été égalé. C'est-à-dire que si on regarde la statistique de l'INSEE, c'est une courbe assez impressionnante qui monte d'un coup à partir des années 90. Je crois que c'est 91-94 où le pic monte brutalement et après 94, on redescend. Les autres prénoms plus classiques, Nicolas, Alexandre ou Julien, ont une courbe assez haute, mais qui reste la même.

 

La deuxième raison, c'est qu'a priori, c'est une émancipation des classes populaires et moyennes dans les années 90 qui ont décidé de prendre les prénoms à consonance américaine, puisque c'était la mode à l'époque, que ce soit par les séries, les films… Il y avait tout un tas de trucs liés à cette culture-là, et Kevin est apparu comme le prénom le plus utilisé.

Je pense que c'est ce qui n'a pas plu aux classes supérieures, puisque finalement le schéma classique dans le passé, c'était que les prénoms venaient des classes supérieures et descendait sur les classes inférieures, et en fait c'était une émancipation qui était mal perçue. Et il y a eu pour le coup des phénomènes de moquerie.

 

Vibration : est-ce que les Kevin se sont conformés aux stéréotypes et aux idées reçues qui circulaient sur eux ?

 

KF : La majorité des Kevin que j'ai rencontrés ne sont pas du tout en phase avec l'image qu'on peut leur coller. J'ai rencontré tous types de profils et tous types de classes sociales : des Kevin docteurs, psychologues, avocats, des gens qui ont un niveau d'études très élevé, qui ont fait des thèses etc…

 

A l’inverse, j'ai rencontré un Kevin aussi qui m'avait évoqué le fait qu'il avait appris à aimer et toute la culture « beauf » affiliée à ce prénom. J'ai trouvé ça un peu triste, parce que finalement, ce n’est quand même pas être en phase avec soi-même.

 

Vibration : si le sujet prête à sourire, vous expliquez dans votre documentaire qu’il existe au-delà des railleries, une réelle discrimination à l’encontre des Kevin ?

 

KF : Oui, complètement. La discrimination elle tient sur plusieurs critères et qui sont assez difficiles à finalement mettre en avant pour vraiment prouver une discrimination. Quand bien même, quand on évoque les témoignages que j'ai reçus, ça semble y coller parfaitement. Je prends l'exemple avec les filles dès lors qu'une personne dit qu'elle ne veut même pas entendre parler d'un garçon dès lors qui s'appelle Kevin. Finalement, c'est une sorte de discrimination.

 

Il y a aussi la discrimination liée à l’emploi. Je me souviens d’un Kevin, instituteur suivant une formation sur les élèves difficiles. Le formateur utilise le prénom Kevin pour l'élève qui va poser du problème. Des choses comme ça, il y en a plein. Kevin qui suit un cours sur les CV, la personne qui lui dit « Surtout, si vous avez des prénoms avec des consonances, comme Kevin, ne les mettez pas ».

 

Vibration : et avec les années, avez-vous le sentiment que les railleries et les discriminations se font plus rares ?

 

KF : J’ai quand même l'impression que beaucoup d'entre nous, ont le sentiment que ça s'apaise. Les Kevin des générations 90, dont je fais partie, commencent à avoir entre 35 et 40 ans et aussi des responsabilités, ce qui fait qu'en fait, on n'a pas le même rapport au prénom. Je pense que ça, c'est en train de changer. Pour les blagues, on n’y échappera pas.

 

Le documentaire Sauvons les Kevin devrait être visible à la rentrée. Kevin Fafournoux est encore à la recherche d'un diffuseur.