CPF : le reste à charge de 100 euros « risque d’évincer les profils qui en ont le plus besoin », selon une socio-économiste

20 mars 2024 à 6h00 par Étienne Escuer

Il faudra payer pour utiliser son compte personnel de formation.

Crédit : CPF

Le gouvernement prévoit d’instaurer un reste à charge pour utiliser son compte personnel de formation (CPF), à compter du 1er mai. Une réforme qui ne serait pas sans conséquence, estime la socio-économiste Carole Tuchszirer.

 


A partir de mai 2024, il faudra sans doute mettre la main à la poche pour utiliser son compte personnel de formation (CPF), a fait savoir le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave. Concrètement, une participation de 100 euros pourrait être demandée aux salariés ou chômeurs qui souhaitent se former. Le gouvernement espère ainsi générer 200 millions d’euros d’économie. Le CPF, « c’est un droit individuel qui a été créé en 2014, utilisable librement depuis 2018 pour financer une formation de son choix sans passer par un intermédiaire », rappelle Carole Tuchszirer, socio-économiste au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). « Il est financé majoritairement par les entreprises. »


 


S’il est difficile d’établir un profil-type de l’utilisateur du CPF sous son format actuel, « il y a une part non négligeable de chômeurs, notamment des femmes, des séniors, des gens faiblement qualifiés, des profils qui généralement accédaient peu aux formations », constate Carole Tuchszirer. « Avant cela, elles étaient plutôt réservées à salariés qualifiés, en CDI, qui travaillent dans des grandes entreprises. » Si le dispositif était parfois critiqué, « il a largement ouvert la palette des publics qui se forment aujourd’hui », estime la socio-économiste. « Ça a permis de tordre le cou à l’idée que les chômeurs ou salariés faiblement qualifiés ne voulaient pas se former. Mais il restait à transformer l’essai. »


 


"Une réponse un peu brutale"


 


Ces dernières années, les motifs d’utilisation du CPF ont en effet régulièrement fait polémique. « C’est beaucoup de permis de conduire et de cours de langues », explique Carole Tuchszirer. « C’est une demande en compétences à un instant T mais qui ne s’inscrit pas forcément dans un parcours qui fait sens du point de vue du marché du travail. » Pour la socio-économiste, « peut-être qu’il n’aurait pas fallu laisser les chômeurs et les salariés seuls à la manœuvre, et qu’avec les entreprises et France Travail, on aurait pu co-construire des parcours de formation un peu plus ambitieux. » Ce n’est toutefois pas la piste retenue par le gouvernement pour sa réforme. « Là, c’est une réponse un peu brutale. Avant d’en limiter l’usage, il aurait été bon de le repenser de manière plus collégiale », poursuit Carole Tuchszirer.


 


Avec un reste à charge de 100 euros (excepté pour les demandeurs d’emploi), l’accès aux formations sera moins évident, craint Carole Tuchszirer. « Ceux qui avaient le plus besoin de cette première marche de formation vont en être privés. Des séniors, salariés faiblement qualifiés ou jeunes décrocheurs pourraient renoncer, au contraire des cadres ou des gens qui ont les moyens de le financer », confie la chercheuse du Cnam. « Ça risque d’évincer les profils d’actifs qui en auraient le plus besoin. Cette réforme, ça ne mange pas de pain, ça va rapporter gros, mais ça ne va pas répondre aux enjeux de ce que doit être aujourd’hui un système de formation professionnelle. »