24 Heures du Mans : comment réussir à moins polluer ?

5 juin 2023 à 6h00 par Hugo Harnois

Voitures de cousse
Voitures de cousse
Crédit : Pixabay

Ce n’est une surprise pour personne, les 24 Heures du Mans polluent, comme n’importe quel événement sportif de cette ampleur. Mais petit à petit, les organisateurs du rendez-vous automobile semblent prendre conscience des enjeux climatiques et sociaux de notre époque.

Quand on évoque le sport auto, on peut rapidement penser à la vitesse et l’adrénaline, ou alors, aux pots d’échappement, à l’essence et la pollution. Dégradation de l’environnement due aux créations de pistes automobiles, nuisances sonores impactant la faune et la flore, perte d’huile non négligeable… Les conséquences des grands événements liés aux sports mécaniques sont nombreuses. Pourtant, ces derniers ne sont pas forcément plus polluants que certains grands autres rendez-vous sportifs. « Il est difficile de hiérarchiser ces événements car tout dépend de leur taille. Ce n’est pas pire que le ski par exemple, quand il faut abattre des forêts, détériorer la montagne, monter en voiture sur les pistes ou dans des stations. Tout cela occasionne aussi beaucoup de nuisances », analyse Julien Pierre, fondateur et directeur du label Fair Play For Planet.

 

Les 24 Heures, moins polluantes que le Tour de France ?

Pour en revenir aux 24 Heures du Mans, le bilan carbone de l’édition 2019 représentait plus de 36.000 tonnes de CO2, selon les organisateurs de la course, l’Automobile Club de l’Ouest (ACO). Soit environ six fois moins que le Tour de France. Un chiffre qui peut paraitre surprenant, mais qui s‘explique par la présence du public. En effet, avec leurs déplacements, les spectateurs polluent beaucoup plus que les coureurs. Ils représentent aux 24 Heures 64,36% du bilan carbone. Quant à la combustion du carburant et à l’usure des pneumatiques des voitures de course, leurs émissions représentent 2,47% du cru 2019.

Pour Julien Pierre, « toutes les fédérations françaises de sport auto ont pris conscience de ces impacts environnementaux, et travaillent sur l’utilisation de biocarburant ou la sensibilisation des pratiquants. Des choses sont en marche ». Depuis l’an dernier quand s’est déroulée la 90e édition des 24 Heures du Mans, un carburant 100% renouvelable a été introduit au sein de la course. Cela permet, selon les organisateurs « de réduire considérablement l’impact carbone des activités de la piste ». Grâce à cette évolution, la part des pneus et du carburant tombe à 1,4% du bilan carbone, contre 2,5% auparavant.

 

La première cible ? Le public

Avec ces chiffres, nous l’avons bien compris, les efforts doivent être particulièrement concentrés sur les spectateurs, qui représentent une part très importante du bilan carbone. Cela vaut pour les 24 Heures du Mans, comme tous les autres grands événements sportifs, puisqu’en moyenne, les spectateurs peuvent peser entre 70 à 90% du bilan carbone total. Concrètement, le directeur de Fair Play For Planet souhaiterait que les organisateurs favorisent le transport en commun, mettent l’accent sur les applications de covoiturage pour réduire le nombre de voitures qui se déplacent, et valoriser les spectateurs qui viennent à l’aide de mobilité douce (à pied, à vélo). « Il faut travailler sur tous ces leviers-là, même s’il ne faut pas remettre tout sur le dos des spectateurs, car ce serait trop facile », admet-il.

Justement, en 2022, un « Green Ticket » a été lancé à destination des spectateurs des 24 Heures, afin d’inciter ces derniers à se rendre sur le circuit par l’intermédiaire d’un mode de transport bas carbone. En contrepartie, le ticket permet aux visiteurs d’avoir différents avantages en marge de l’événement, comme -20% sur les produits de la gamme responsable au sein de la boutique du musée. De plus, à chaque « Green Ticket », un euro est reversé en faveur d’un projet bas carbone dans le département de la Sarthe.

Sans parler du « Green Ticket », il est désormais possible de participer à différentes missions solidaires, tandis qu’une « Green Zone » a également été installée avec des espaces de restauration alimentés en électricité décarbonée. L’objectif, toujours selon l’ACO, est de réduire de 30% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.

« Ce sont vers ces chemins-là qu’il faut aller », reconnait Julien Pierre, « toutes ces choses sont de bonnes pratiques, de bonnes initiatives, et plus on sensibilisera la population, mieux ce sera ». Toutefois, il « n’y a pas que le ‘Green ticket’ qui doit fonctionner », tempère le fondateur du label, mais aussi les évolutions qui doivent être apportées aux carburants, pneumatiques, huiles et tout ce qui est de l’ordre du merchandising.

 

La voiture remise en cause

Grâce à des projets de séquestration du carbone ou de reforestation labellisée, les 24 Heures visent la neutralité carbone d’ici 2030. Mais le concept même de « neutralité carbone » interroge Julien Pierre, qui soutient que cette notion doit être exclusivement vue au niveau des États, et non d'un seul point de vue événementiel. Et en ce qui concerne la reforestation, « il y a un petit problème car il n’y a plus assez de terre disponible pour replanter tous les arbres que l’on a déjà financés. Il faut réduire au maximum, mais tant qu’il y aura de l’activité, on émettra du CO2. »

L’organisation des 24 Heures du Mans semble avoir une vision à long terme puisqu’elle prévoit d’ici 2025 la création d’une catégorie de voitures fonctionnant à l’hydrogène. Il y a « une prise de conscience que ce qui a été fait avant n’est plus acceptable aujourd’hui. La société, mais aussi les spectateurs, l’État, les collectivités ou les partenaires commerciaux demandent ces changements », assure le président de Fair Play For Planet.

Au-delà de tous ces chiffres et de la pollution qu’engendre un événement comme les 24 Heures, le symbole même de la voiture est dans le viseur de certains. C’est le cas du collectif « Stop 24 », dont les membres sont issus d’associations telles que Greenpeace, Attac ou Alternatiba. Le 8 mai dernier, ces activistes ont dégradé une rame du tramway manceau promouvant le centenaire de la course. Par cette action, ces derniers critiquent notamment la vision positive que l’on se fait de la voiture à travers ce genre de rendez-vous. « On voit bien qu’on est peut-être aux prémices d’une nouvelle société. Mais les sports automobiles font aussi avancer les recherches. Ces compétitions sont des gallons d’essai afin de pouvoir réduire au maximum cette pollution. Il faut nuancer, en effet, ce sport glorifie la voiture alors qu’on sait que demain, voyager en véhicule individuel ne sera plus possible. Mais peut-être que les 24 Heures du Mans vont pouvoir faire évoluer le matériel, les mentalités. Servons-nous de ces événements pour pointer du doigt ce qui va, et ce qui ne va pas », conclut Julien Pierre.