[Exclusivité Vibration] Orléans : un an après son départ de l’Église, Christophe Chatillon témoigne

14 février 2024 à 6h00 par Hugo Harnois

Christophe Chatillon
Christophe Chatillon
Crédit : Christophe Chatillon

Il avait défrayé la chronique en janvier 2023, quand il annonçait à tous sa volonté de quitter l’Église... pour une femme ! Dans un long entretien, l’ancien recteur de la cathédrale d’Orléans Christophe Chatillon sort du silence pour se confier sur ses choix, le célibat chez les prêtres, et sa nouvelle vie.

Ordonné prêtre en juin 1999, Christophe Chatillon est ensuite devenu curé-doyen du centre d’Orléans, avant d’être le recteur de la cathédrale Sainte-Croix en septembre 2016. Six ans plus tard, en janvier 2023, l’Orléanais a créé une onde de choc en annonçant son départ de l’Église par amour pour une femme, Juliette. Plus d’un an après, il témoigne en exclusivité pour Vibration.

 

Vibration : en janvier dernier, vous défrayiez la chronique après avoir annoncé quitter l’Église. Pouvez-vous tout d’abord, nous rappeler pourquoi ?

Christophe Chatillon : j’ai fait le libre choix de quitter l’Église en janvier par souci de cohérence, ayant fait un nouveau choix de vie personnel. Je pensais que c’était pour moi plus crédible de prendre un autre chemin, et de quitter les engagements que j’avais pris jusque-là. Je n’avais pas envie de m’enfermer dans une double vie. Il y avait vraiment un souci d’être en vérité. Je ne me voyais plus apporter une parole, soutenir, conseiller et accompagner des gens en difficulté, et moi-même à côté, ne pas être en phase avec ce que je leur disais.

 

Votre décision de quitter l’Église était-elle prise depuis longtemps ?

Depuis le mois de novembre. Elle était réfléchie, et partagée. Et après, il fallait le temps d’accepter de pouvoir l’annoncer publiquement, de prendre la parole et mesurer toutes les conséquences que cela aurait.

 

 

"Partager ma vie avec la femme que j’aimais"

Pourquoi avoir précisé les raisons précises (l’amour d’une femme) de votre départ ?

Parce que c’était le choix principal. Ce nouveau choix de vie personnel était de partager ma vie avec la femme que j’aimais. Pour cela, il fallait que je donne la raison. En même temps, au fond de moi, je pensais que cette raison pouvait être acceptée si j’étais en vérité avec les gens. Ce n’était pas pour de multiples raisons ou par rapport à ce que je vivais dans l’Église, mais c’était vraiment un choix d’amour, ce choix-là, j’avais envie de le partager.

 

Vous attendiez-vous à de telles retombées médiatiques suite à votre départ ?

Non, pas du tout, parce que moi, j’avais fait le choix de ne pas le rendre public. Après, c’est le diocèse qui l’a annoncé publiquement car il pensait que c’était important que cette nouvelle soit partagée, vu que j’avais eu des responsabilités au sein du diocèse. Après, cela a eu un effet boule de neige, les médias se sont emparés de cette annonce, et ont essayé de me contacter. Il y a eu beaucoup de répercussions pour lesquelles je suis resté très prudent, et j’ai fait le choix de ne pas répondre à ces sollicitations pendant un an.

 

"Beaucoup de retours très bienveillants, émouvants"                     

Justement, quelles ont été les réactions suite à votre départ du sacerdoce de la part de vos fidèles, de votre hiérarchie ?

Les réactions ont été très différentes. Du côté de l’Église institutionnelle, ma décision a été plus difficilement acceptée par certains de mes collègues, mais pas tous, certains m’ont soutenu, encouragé, d’autres ne m’ont plus donné de nouvelles, suite au courrier que je leur ai adressé, ce que je peux comprendre. Et par rapport aux gens que j’ai accompagnés, j’ai été surpris parce que j’ai eu beaucoup de retours très bienveillants, émouvants. C’était des gens qui comprenaient, qui ont été touchés par le message. Même s’ils ne connaissaient pas toute l’histoire, ce souci de crédibilité et de vérité était pour eux important. J’ai eu plus de 350 messages venus de toute la France et de gens que je ne connaissais pas, comme certains confrères-prêtres qui m’ont partagé leurs propres histoires. Il y a eu un bel élan, et ça c’était important pour moi.

 

Étiez-vous en accord avec la notion de célibat chez les prêtres dès votre entrée dans l’Église, ou est-ce que vous avez changé d’avis au fil des ans ?

J’ai pris mon engagement au célibat en 1998, j’avais à l’époque 27 ans. Pour moi, ça allait de soi car c’était dans la démarche d’engagement que je voulais prendre pour la vie. Puis ma vision du célibat et ma manière de le vivre ont évolué avec les années, avec l’âge, les rencontres que j’ai pu faire, à travers les missions que j’ai pu avoir et les difficultés que j’ai rencontrées aussi. Derrière le sujet du célibat, il y a la question d’une certaine forme de solitude, qu’on arrive à compenser dans la vie fraternelle, mais qui, à certains moments, est un poids difficile à porter tout seul. Alors quand on rencontre une personne qui vous écoute, vous soutient, qui vous aide et vous accompagne, ça nous fait évoluer et nous poser cette question : est-ce que le célibat est le choix de vie que je veux avoir jusqu’à la fin ?

 

"Ce n’est pas parce que l’on devient prêtre qu’on ne ressent plus de sentiments"

Aviez-vous déjà, au cours de votre parcours au sein de l’Église, essayé de discuter du célibat avec d’autres prêtres, ou votre hiérarchie ?

Oui, c’est une question dont je parlais assez facilement avec mes confrères. Alors on peut échanger sur les difficultés que l’on rencontre, mais très vite, il y a le cadre institutionnel qui nous rappelle que la règle, c’est ça, et qu’on ne changera pas l’Église nous-mêmes en claquant des doigts. Mais j’ai eu la chance de rencontrer des confrères plus âgés que moi qui avaient déjà aussi été confrontés à ces questions-là dans leur propre ministère. Et parfois, ils ont su me dire que ça peut être normal, quand on est prêtre, de tomber amoureux, parce qu’on est des hommes, et que ce n’est pas parce que l’on devient prêtre qu’on ne ressent plus de sentiments. Beaucoup de prêtres me le disaient.

 

Et justement comment l’Église peut-elle aider les prêtres au sujet du célibat ?

Les solutions, c’est d’en parler, de trouver des lieux d’écoute, avec des confrères en qui on a confiance, où on peut exprimer que l’on vit quelque chose d’autre, sans que ça remette tout en question. On nous renvoie sur ce qui fait le fondement du ministère : la vie spirituelle, la vie fraternelle, la communauté, mais tous ces éléments-là, à certains moments, ne suffisent pas à combler le manque que l’on peut ressentir en tant qu’homme. Car même si on est prêtre et que l’on aime ce que l’on fait, on reste des hommes. L’Église propose des lieux de paroles, mais moi, je ne m’y suis pas retrouvé dans ceux qui étaient proposés par l’Église, et je n’ai pas trouvé d’oreilles prêtes à m’entendre.

 

Pensez-vous que légaliser le mariage chez les prêtres pourrait résoudre certains problèmes au sein de l’Église ?

Ça dépend des problèmes que l’on évoque. Je ne sais pas s’il y a un lien de cause à effet entre le célibat et les problèmes que rencontre l’Église. En même temps, je reste persuadé qu’on peut avoir une autre manière de vivre notre ministère, et qu’on peut très bien le vivre en ayant à côté une vie de famille. Même si j’ai très bien vu qu’il y avait des prêtres qui s’épanouissaient dans le célibat et le vivaient à fond, il y a en a d’autres pour qui c’est plus difficile. Alors est-ce que l’on ne pourrait pas ouvrir une deuxième voie pour permettre à ceux qui le vivent plus difficilement de s’épanouir autrement ? On peut se réfugier dans la prière, les études, la lecture, mais il y a quand même une forme de solitude qui s’installe. Et pour moi, à un moment donné, c’est devenu trop compliqué. Je pense que l’Église va évoluer, je ne sais pas dans combien d’années, mais est-ce que cela résoudra tous les problèmes, je ne sais pas.

 

"Je ne suis pas parti par rejet de quelque chose, mais par amour"

Comment vous allez aujourd’hui et comment se passe votre nouvelle vie ?

Aujourd’hui, je vais très bien, je vis à Lyon. J’ai eu une période de reconversion professionnelle. J’ai eu la chance d’être accompagné par des personnes encore très bienveillantes. J’ai suivi un parcours avec des professionnels du monde de l’entreprise qui m’ont vraiment guidé. Aujourd’hui, j’ai eu la chance de trouver un travail de libraire dans lequel je m’épanouis et où je suis heureux.

 

Est-ce que, d’une certaine manière, vous regrettez vos années à l’Église ?

J’ai été prêtre 23 ans, j’ai vécu de très belles années, mais aussi des années difficiles, et il y a eu des épreuves que j’ai traversées. Mais depuis le départ, je n’ai jamais remis en question ce que j’avais vécu. Je ne suis pas parti par rejet de quelque chose, je suis parti par amour et parce que je me sentais attiré à vivre autre chose à ce moment-là de ma vie.

 

Quel rapport avez-vous aujourd’hui avec votre vie d’avant ?

Je ne reviens pas souvent sur Orléans. J’ai gardé quelques contacts avec certains confrères et des membres de communautés que j’accompagnais. Sinon, je n’ai plus forcément beaucoup de contacts, mais honnêtement, c’est parce que je ne cherche pas forcément à en avoir. Il y a un besoin de distance, pas de rejet, et parfois c’est dans l’éloignement que l’on se rapproche après le mieux. Il faut laisser le temps agir.