Faut-il durcir le mouvement contre la réforme des retraites ?

6 février 2023 à 6h00 par Alicia Méchin

Manifestation le 31 janvier 2023.
Image d'illustration / manifestation le 31 janvier 2023.
Crédit : Lionel BONAVENTURE / AFP

Les sondages témoignent d’une hostilité de plus en plus grandissante contre la réforme des retraites. Le gouvernement, pourtant, reste campé sur ses positions. Selon Stéphane Sirot, historien et spécialiste des mouvements sociaux, seul un durcissement du mouvement pourrait faire bouger les choses.

Cela faisait longtemps que les Français n’avaient pas été aussi nombreux dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Plus d’un million de personnes selon le ministère de l’Intérieur, et 2,8 millions selon la CGT ont battu le pavé le 31 janvier dernier, lors de la deuxième journée de mobilisation. Le 19 janvier, ils étaient 1,2 millions selon le ministère de l’Intérieur, et plus de 2 millions selon la CGT.

Une troisième mobilisation contre la réforme est programmée ce mardi 7 février. Et pour l’heure, la stratégie des syndicats reste la même. « Le choix est fait de privilégier ces journées de 24h, et donc donner une importance considérable au nombre de manifestants », précise Stéphane Sirot. Mais selon les observateurs, il en faudrait plus pour convaincre le gouvernement de retirer sa réforme.

 

Les leçons du passé

 

Le passé l’a prouvé, selon Stéphane Sirot, les manifestations seules n’ont pas beaucoup d’impact. « Si on regarde les expériences passées, le constat qu’on peut faire c’est qu’à chaque fois que les oppositions à une réforme, et en particulier les retraites, étaient essentiellement composées de ces journées d’actions, n’ont pas réussi à infléchir le pouvoir ».

Car ce n’est pas la première fois que les Français se mobilisent contre la réforme des retraites. Et à chaque fois, ça s’est terminé dans la rue. « On peut avoir le scénario de 95’ (ndlr : le plan Juppé), explique Stéphane Sirot. On avait démarré par des journées d’action où on avait beaucoup de manifestants, et puis quelque temps après, avaient commencé les grèves reconductibles qui avaient paralysé les transports ». Cette grève d’ampleur avait touché également la fonction publique et les grandes administrations. Le mouvement avait conduit au retrait de la réforme.

« Mais on peut aussi avoir l’autre scénario, qui est celui de 2010, ajoute l’historien, où les syndicats s’en tiennent à ces journées d’action, où les secteurs professionnels qui essayent de générer des grèves reconductibles ne parviennent pas à le faire. Et donc là on pourrait en effet avoir une réédition du scénario type 2010, avec un gouvernement qui passe en force.

 

Passage en force

 

Les débats sur la réforme des retraites débutent ce lundi 6 février, à l’Assemblée Nationale… Des débats qui s’annoncent houleux, alors que plus de 20 000 amendements ont été déposés par l’opposition, afin de ralentir l’étude du texte. Sauf que, l’exécutif ayant enclenché l’article 47.1 pour accélérer les débats, l'Assemblée n'aura que 20 jours pour examiner tous ces amendements.

Une stratégie de course contre la montre que nous explique Stéphane Sirot : « l’optique qui est derrière, c’est de donner une fenêtre de tir la plus réduite possible chronologiquement au mouvement social, de manière à ce qu’une fois la loi votée, les organisations syndicales, ou une partie d’entre elles, décident de mettre un terme à cette mobilisation ».Faire vite donc, pour éviter que le mouvement social ne prenne de l’ampleur… Pour rappel, le gouvernement espère une entrée en vigueur de la réforme des retraites l’été prochain.

 

Retour de bâton dans les urnes ?

 

Alors si les organisations syndicales veulent durcir le mouvement, elles devront le faire rapidement. Selon un sondage Elabe pour BFMTV, publié la semaine dernière, 60% des Français déclarent qu’ils comprendraient que les grévistes bloquent le pays.

Le gouvernement, de son côté, semble maintenir son cap. Et ce, malgré les conséquences politiques que cela pourrait avoir. « Le risque pris tout de même, on le sait très bien, c’est une montée en puissance de l’extrême droite, conclut Stéphane Sirot. La cohabitation de 97’ pour Chirac n’est pas sans lien avec le mouvement de 95. La défaite de Sarkozy en 2012 n’est pas sans lien avec le mouvement social de 2010. (…) Il y a un retour de bâton politique qui se produit lors des élections qui suivent, c’est quasi-inévitable ».